Champ magnétique, champ électrique, carottes et pommes de terre

Par Jean-Pierre Bourdier, F6FQX

Il était une fois un radio-amateur appelé Max qui avait deux passions, la cuisine et la radio. La première c’était pour vivre, la seconde pour s’amuser.

Il vivait en vendant de la soupe faite maison dans les stations le long de l’autoroute Paris-Rennes ; il s’amusait en faisant marcher sa station à tour de bras, dont les antennes, comme la soupe étaient « home-made ».

En fait, Max s’était avec le temps spécialisé, en cuisine comme en radio. La seule soupe qu’il vendait était de la soupe de carottes et de pommes de terres, mais qu’elle était bonne ! En radio, sa spécialité était les antennes discrètes, mais quelles antennes !

Il avait d’ailleurs trouvé beaucoup de similitudes entre ses antennes et sa soupe. La première similitude était que dans les deux cas il était question de champs. Pour que la soupe soit bonne il fallait des champs de pommes de terre et de carottes, pour que l’antenne rayonne bien il fallait qu’elle s’entoure d’un champ magnétique et d’un champ électrique. Au fond, pensait Max, tous ces champs sont bien de même nature :

-         un champ de pommes de terre est un lieu où on trouve des pommes de terre

-         un champ de carottes est un lieu où on trouve des carottes

-         un champ magnétique est un lieu où on trouve du magnétisme

-         un champ électrique est un lieu où on trouve de l’électricité

Max, en parfait cuisinier, savait aussi que le respect des impédances en radio était aussi important que le respect des proportions pour faire une bonne soupe. La bonne impédance pour la soupe c’est quatre mesures de pommes de terre pour une mesure de carottes, la bonne proportion pour le rayonnement de l’antenne c’est 377 mesures de champ électrique pour une mesure de champ magnétique (quand Max voulait impressionner ses clients, il leur disait que l’impédance du vide était de 377 Ohms ; mais jamais il ne révélait l’impédance de sa soupe, car c’était un secret).

Une chose cependant tracassait Max : il avait beau acheter, pour chacune des stations d’autoroute où il vendait sa soupe, la même quantité de carottes et la même quantité de pommes de terre, il n’arrivait pas à y faire la même quantité de soupe. Il avait bien regardé la carte routière et constaté que plus la station était loin de Paris, plus grande était la quantité de soupe produite avec les mêmes ingrédients. Par contre, en sens contraire, plus on s’approchait de Paris, plus cela tournait à la gabegie : aux portes de la capitale, on avait beau apporter les légumes, il était quasi-impossible d’en faire de la soupe.

Max était perplexe mais, en bon radio-amateur, toujours prêt à apprendre et à expérimenter. Il alla donc interroger le président de son radio-club, certain qu’il y avait là aussi une similitude avec la radio mais qu’elle lui échappait. Son président l’accueillit avec sa gentillesse coutumière (celle qui le faisait réélire chaque année par ses pairs) et comprit tout de suite le problème.  

-         Max, as-tu pensé au déphasage ? demanda le Président

-         Un déphasage entre les carottes et les pommes de terre ? répondit, surpris, Max

-         Tu as bien trouvé une impédance entre les deux pour que la soupe soit bonne !

-         C’est vrai, mais des carottes en phase avec des pommes de terre, c’est fait comment ?

-         Tu commandes bien tes pommes de terre et tes carottes à de bons fournisseurs !

-         Oui, spécialisés : par station un fournisseur de carottes et un fournisseur de pommes de terre, le meilleur de chaque catégorie, toujours certifié ISO 9000 et ISO 14000.

-         Et ils s’entendent bien entre eux tes fournisseurs ?

-         Pas toujours, près de Rennes très bien, près de Paris pas du tout, d’une façon générale plus on s’éloigne de Paris mieux ils s’entendent.

-         Eh bien le voilà ton déphasage ; quand le fournisseur de carottes et le fournisseur de pommes de terres s’entendent bien ils te livrent les deux légumes ensemble, quand ils ne s’entendent pas bien ils te les livrent alternativement, ce qui fait que, quand les pommes de terre arrivent, les carottes de la dernière livraison sont là depuis trop longtemps et pourries pour la plupart : tu ne peux donc faire que peu de soupe.

Max se dit que vraiment il avait un bon président. Et il se rua sur ses antennes pour voir si par hasard, la même chose se passait avec les champs électrique et magnétique qu’avec les champs de pommes de terre et de carottes. Et, Ô surprise, c’était bien la même chose. Voyez plutôt la suite.

L’OM Max fabriqua une toute petite antenne : un doublet de 2 fois 5cm (c’est discret, non ?) qu’il fit fonctionner sur la bande des 30 mètres en la chargeant avec 1 Ampère. En se plaçant d’abord loin (30km), puis en se rapprochant par décades (3km, 300m, 30m, 3dm, 3cm), il mesura tout ce qu’il pouvait mesurer :

-         le champ électrique (dont il savait que cela correspondait aux pommes de terre)

-         le champ magnétique (dont il savait que ça correspondait aux carottes)

-         leur déphasage (dont il savait que ça correspondait au degré d’accord ou de désaccord des fournisseurs en un lieu donné)

-         l’énergie rayonnée en chaque point (dont il savait que ça correspondait à la quantité de soupe produite en un lieu)

Il fit un grand tableau (cf. tableau) et que constata-t-il ? :

-         tout près de l’antenne (cf. ligne « au » du tableau), la phase est catastrophique (quasiment 90°) ; c’est-à-dire qu’on a beau avoir un champ électrique fort et un champ magnétique fort, on n’en peut rien tirer (certes le vecteur de Poynting est important, mais il est presque totalement réactif (cf. lignes « as » et « at » du tableau) : l’énergie, comme la soupe faite avec des carottes et des pommes de terre pas en phase, est immangeable, et les clients la repoussent)

-         plus il s’éloigne de l’antenne, meilleure était la phase, pour tomber à moins de 1° à partir de 300m (toute la soupe, pardon toute l’énergie produite est « bonne »)

-         les champs électrique et magnétique décroissent comme l’inverse de la distance à partir de 300m, l’énergie (module de Poynting) décroît, lui, comme l’inverse du carré de la distance, ce qui est ce à quoi on s’attendait.

-         près de l’antenne, comme on l’a vu plus haut, les choses se compliquent : un champ électrique démesuré par rapport au champ magnétique, un champ magnétique surtout réel et un champ électrique surtout imaginaire (Max se fit la réflexion qu’il fallait qu’il interroge son président sur ce point un peu obscur, tout en se disant que ce n’était sûrement pas avec des légumes imaginaires et en aussi mauvaises proportions qu’on pouvait faire de la bonne soupe)

-         Max constata, avec un plaisir d’esthète, que le champ magnétique et le champ électrique sont toujours perpendiculaires entre eux, même très près de l’antenne, mais que cela ne lui était pas d’une grande utilité car il ne voyait à ce propos aucune analogie avec ses légumes.

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Quelle morale retira Max de cette expérience ? Qu’il ferait des affaires plus intéressantes en vendant sa soupe loin de Paris et il s’écria « Vive le DX ! »

Un OM facétieux demanda un jour à Max : mais qu’est-ce que ça veut dire de « trouver du magnétisme » en un lieu  ? Max répondit : « ça veut dire qu’une boussole, si elle est assez sensible, sera déviée en ce lieu ». « Et si on n’a pas de boussole sensible » répliqua l’OM facétieux. « Alors on prend un récepteur et son antenne » répliqua à son tour Max.

Le même OM facétieux demanda un autre jour à Max : mais qu’est-ce que ça veut dire de « trouver de l’électricité » en un lieu  ? Max répondit : « ça veut dire qu’un chat, s’il est assez sensible, verra ses poils se dresser en ce lieu ». ». L’OM facétieux n’osa pas demander ce qu’on faisait si on n’avait pas de chat sensible…

A l’issue de cette expérience, Max baptisa d’ailleurs sa soupe « potage à la Poynting » car il venait de découvrir que la quantité d’énergie rayonnée en un endroit par une antenne est mesurée par le « vecteur de Poynting » : on fait d’autant plus de « potage à la Poynting » qu’on y met des pommes de terre, des carottes en proportion, et que carottes et pommes de terre sont livrées en phase ; on rayonne d’autant plus d’énergie en un point qu’on y a un champ électrique, un champ magnétique en proportion et que les deux champs sont plus en phase l’un avec l’autre.