Note
préliminaire de F6FQX :
Ce
qui suit est une lettre que m’a envoyée cette chère p2r2,
présidente de l’A.D.S.T. (l’Association de Défense des Selfs
Torturées)[1], après que
je l’ai consultée sur le thème : comment peut-on expliquer, sans trop
de mathématiques, les principales turpitudes d’un champ vectoriel comme le
champ électromagnétique ? Plus précisément, comment aborder toute la
faune qui « tourne autour » (divergence, rotationnel, potentiels
scalaire et vecteur, etc.) ?
Cette
« vieille » p2r2 est une militante et a tendance à ne pas s’embarrasser de
formes. Je lui laisse donc l’entière responsabilité de ses propos. Le lecteur
se rendra vite compte qu’elle a une propension à chercher la petite bête…
Cher FQX,
J’ai lu attentivement votre récent
papier intitulé « qu’appelle-t-on rotationnel et divergence ? »
et, puisque vous me demandez mon avis, me permets de vous dire que je ne vous
en félicite pas. Quand vous jouiez aux ballons rouges[2]
, emmeniez Cécile au pays des gluons[3],
ou fouiniez dans le grenier de Max[4],
vous étiez plus compréhensible.
Comment voulez-vous qu’un OM
sérieux puisse croire que la radio et la météo seraient comparables, et que les
ondes tournent comme des cyclones. Toutes vos histoires, ça n’est que du vent…
Pour expliquer une chose
aussi abstraite que l’analyse vectorielle, il faut soit « faire des maths
pures et dures » (et je comprends que l’OM consciencieux, qui en vous
sommeille, y rechigne), soit affabuler carrément.
Je vous propose de choisir
cette seconde voie. Cette fois, nous renoncerons aux chats et aux boussoles,
pour nous intéresser aux fourmis et au vermicelle. Nous nous livrerons à
quatre expériences successives lors d’un pique-nique, les acteurs étant une
fourmilière, un paquet de vermicelle (mal)heureusement renversé sur le sol, et
quelques accessoires. Soyons complets en précisant que ce vermicelle est
constitué en fait de petites pâtes à potage alphabétiques[5]
xxx
Première expérience :
Loin de la fourmilière et loin du paquet renversé,
nous observons les fourmis qui emportent les pâtes à la fourmilière avec ordre
et méthode
Elles
marchent par deux, le plus droit possible, la fourmi de gauche portant une
lettre D (dressée), la fourmi de droite une lettre B (baissée). Aucune fourmi
ne fait marche arrière ou se retourne, à aucun moment du parcours les fourmis
ne s’accumulent.
Les
fourmis, qui sont des animaux savants comme chacun sait, obéissent ainsi aux
équations de Maxwell dans le vide (et plus précisément dans un milieu sans
charge ni courant) :
-
le
champ électrique D et le champ magnétique B[6]
sont propagés à la même vitesse, en ligne droite, orthogonalement entre eux et orthogonalement à la direction de
propagation
-
aucune
fourmi ne se retournant ou faisant demi-tour, on ne constate aucune rotation,
les deux champs B et D sont dits « irrotationnels »[7]
-
aucune
accumulation de fourmis en chemin, le flux est donc constant (« conservatif »),
les deux champs sont à « divergence nulle »[8]
Seconde expérience :
Encore loin de la fourmilière et loin du paquet
renversé, nous observons les fourmis qui emportent les pâtes à la fourmilière,
mais nous constatons une concentration de fourmis
En
regardant de plus près, nous constatons qu’elles ont rencontré autre chose
d’intéressant à rapporter à la fourmilière, autre chose à « charger sur
leur dos. »Toutefois, aucune fourmi ne se retourne ni ne fait demi-tour.
Leur
attitude correspond bien aux consignes de James-Clerk :
-
pas
de courant, donc pas de rotationnel, donc on ne se retourne pas
-
des
nouvelles charges, donc on converge (divergence négative) et le flux n’est
localement plus constant.
Troisième expérience :
Ailleurs, encore loin de la fourmilière et loin du
paquet renversé, nous observons les fourmis qui emportent les pâtes à la
fourmilière, mais nous constatons qu’elles amorcent un mouvement tournant, mais
toujours dans l’ordre et la discipline
En
regardant de plus près, nous constatons qu’elles ont rencontré un petit
écoulement d’eau qui les oblige à contourner l’obstacle
Leur
attitude correspond bien aux consignes de James-Clerk :
-
un
courant sur le chemin, donc on tourne, donc plus de rotationnel nul
-
pas
de nouvelle charge, donc on ne diverge pas de son chemin
Quatrième expérience :
Comme chacun sait, chaque soir, après une dure journée de labeur, les
fourmis débriefent leur expérience de la journée ; écoutons ce qu’elles se
disent alors.
James-Clerk, la fourmi-en-chef :
« vous
avez bien travaillé, mais avez-vous bien compris ces histoires de divergence et
de rotationnel ? » Qui peut me l’expliquer en quelques
mots ?
Félicie :
« Moi,
je crois ; une charge immobile : on converge/diverge ; un
courant : on le contourne ; ni charge, ni courant : on ne fait
ni l’un ni l’autre »
James-Clerk, la fourmi-en-chef :
« Très
bien, Félicie ! Mais je vois Fabienne qui lève la main. »
Fabienne :
« Oui,
chef ; mais avant que vous n’arriviez, votre prédécesseur nous avait parlé
de potentiel vecteur et je n’avais rien compris. »
James-Clerk, la fourmi-en-chef :
« Elle
n’avait peur de rien la fourmi-en-chef d’avant ! Le potentiel-vecteur est
une notion encore plus abstraite que les champs eux-mêmes. Elle en parlait
parce qu’avant de nous rejoindre, elle avait longtemps vécu chez les fourmis de
rite statique et que… »
Fanchon :
« Qu’est-ce
que c’est, des fourmis de rite statique ? »
James-Clerk, la fourmi-en-chef :
« Je
vois que ce soir il faut vraiment tout vous expliquer ! Il y a deux rites
chez les fourmis : le rite statique (ES et MS)[9],
et le rite EM[10] qui est le
nôtre. Les fourmis de notre rite, vous et moi donc, propageons les vermicelles
B et D simultanément loin de l’endroit où nous les avons trouvés.
Les
fourmis de rite statique, elles, non seulement ne pratiquent pas l’association « B
avec D », mais en outre se contentent de les répartir autour de l’endroit
où elles les ont trouvés, puis elles restent immobiles, sans propager quoi que
ce soit. »
Fanchon :
« Ce
qu’elles font, ces fourmis de rite statique, n’est donc pas très utile »
James-Clerk, la fourmi-en-chef :
« Certes !
Si on veut disposer de vermicelles pour l’hiver dans la fourmilière, il vaut
mieux faire appel à nous, les EM, qu’aux statiques[11].
Pour
en revenir à la question de Fabienne, le potentiel est un outil mathématique
qui permet de prévoir plus facilement où se trouvent les différents vermicelles
B et D.
Quand
on est en présence de fourmis de rite statique ES, c’est particulièrement
simple ; le potentiel est alors scalaire, c’est-à-dire représenté par un
seul nombre ; il se mesure en Volts, unité qui le rend encore plus sympathique,
n’est-ce pas ? Disons qu’en un point, le potentiel scalaire est d’autant
plus élevé qu’il y a plus de charges électriques alentour et qu’elles sont plus
proches du point.
Quand
on est en présence de fourmis de rite statique MS, c’est plus compliqué ;
le potentiel est alors vecteur, c’est à dire qu’il faut 3 nombres pour le
représenter. Disons qu’en un point, le potentiel vecteur a un module d’autant
plus grand qu’il y a plus de courants électriques alentour et qu’ils sont plus
proches du point.
Quand
on est en présence de fourmis de rite EM, c’est beaucoup plus compliqué car
potentiel scalaire et potentiel vecteur deviennent alors concomitants et
interdépendants. Il faut reconnaître cependant que le potentiel vecteur est un
indicateur bien utile pour caractériser les antennes. »
Fabienne :
« Et
les antennes, c’est important pour les fourmis ! »
James-Clerk, la fourmi-en-chef :
« C’est
bien vrai, ça ! Ce sera le mot de la fin. Toutes au lit car il y a encore
beaucoup de vermicelles B et D à transporter demain. »
xxx
Voilà, cher FQX, ce que je voulais vous dire. J’ai
bien conscience que vous allez trouver que la fourmi-en-chef s’est montrée bien
lapidaire en ce qui concerne le potentiel vecteur, mais c’est quand même peu
explicable sans un peu de mathématiques[12].
Et puis ses ouvrières avaient besoin d’aller dormir sans qu’on leur mette dans
la tête des sujets de cauchemar…
Cordialement vôtre.
p2r2
[1] cf. article Champs électromagnétiques, chats et boussoles disponible à l’adresse <http://f6fqx.chez-alice.fr/articlesF6FQX/CEM_boussoles_et_chats.htm>
[2] cf. article Marie, Chang et les photons (Radio-REF novembre 1989)
[3] cf. article Cecile au pays des électrons et des gluons (Radio-REF mars 1990)
[4] cf. article Les 4 formules magiques du Professeur Maxwell (Radio REF mars 1991)
[5] note FQX : le lecteur constatera que p2r2 confond vermicelle et pâtes à potage alphabétiques. Pardonnons lui
[6] p2r2 confond champ et induction magnétiques d’une part, champ et induction électriques d’autre part ; on lui pardonne encore car cela se passe dans le vide et revient donc au même.
[7] La fourmi-en-chef a donné des consignes claires avant de partir :
« rot D = 0 parce que c’est toujours comme ça ! » et « rot B = 0 s’il n’y a aucun courant sur la route ! »
[8] Autres consignes de la fourmi-en-chef :
« div B = 0 parce que c’est toujours comme ça ! » et « div D = 0 parce s’il n’y a aucune charge sur la route ! »
[9] le rite statique comprend deux variantes, le rite ES (comme électrostatique) et le rite MS (comme magnétostatique)
[10] EM comme électromagnétique
[11] certains radioamateurs rusés en déduiront peur-être que les champs actifs sont plus efficaces que les champs réactifs en matière de transport des vermicelles au loin.
[12] Quand p2r2 dit ça, cela signifie qu’elle souhaite que quelqu’un s’en charge… Je sens que je vais lui faire un courrier en ce sens…