Antennes virtuelles et antennes réelles

 

Rarement présent dans le shack il y a vingt ans, l’ordinateur y est maintenant plus souvent en bonne place que la traditionnelle charge fictive[1]. Il faut reconnaître que les services qu’il rend sont considérables, de la tenue du log au traitement du signal, en passant par le rôle de voie de service (les e-mails) ou, plus prosaïquement de moyen de calcul.

 

Sur ce dernier registre, l’ordinateur individuel est devenu si puissant qu’il permet aujourd’hui à l’OM de s’attaquer, sans le savoir, à de la mathématique de très haut vol : la résolution de systèmes d’équations intégrales, telles qu’on en rencontre dans la simulation des antennes.

 

Les logiciels correspondants (EZNEC[2], MININEC, MMANA[3], etc.) permettent à l’OM, pour pratiquement n’importe quelle antenne faite de fils ou de tubes, de calculer, avec une précision étonnante, impédance d’entrée et diagramme de rayonnement. Muni de ces deux caractéristiques, l’OM peut alors optimiser le transfert d’énergie du coaxial à l’antenne, et émettre cette énergie dans les directions qu’il souhaite.

 

Des esprits chagrins diront que c’est cher payer que de faire appel à un ordinateur pour remplacer ce qu’on peut faire avec une pince coupante et une échelle… D’autres, plus optimistes, trouveront que la sécurité en sort gagnante, sans parler ni de l’inexistence de pinces coupantes permettant de rallonger les fils en plus de les raccourcir, ni des avatars innombrables qu’on ne peut faire subir à une antenne que si elle est virtuelle…

 

Mais ces logiciels sont-ils fiables, et d’abord comment fonctionnent-ils ?

 

Ils sont tous issus de la référence américaine en la matière, NEC (Numerical Electromagnetic Codes). Les données à entrer sont, dans leur principe, simples. L’OM doit :

- « saucissonner » l'antenne en éléments, par exemple en segments de droite si l'antenne est linéaire (plus il y a de segments, plus la simulation est précise, mais le temps de calcul croît comme le carré du nombre de segments)
- décrire ces segments géométriquement (x, y, z de chaque extrémité ; diamètre si c'est un cylindre circulaire) et électriquement (résistivité si c'est un conducteur, permittivité si c'est un diélectrique comme dans le cas de la gaîne d'un fil)
- définir la façon dont est chargée l’antenne (par exemple le point de connexion avec la ligne)

 

A ce stade, le logiciel met en œuvre une méthode classique d’analyse mathématique complexe dite « méthode des moments » qui consiste à consiste à écrire que :

- chaque segment est parcouru par un courant (lui-même caractérisé par son amplitude et sa phase) inconnu,

- chacun des courants précédents rayonne un champ électromagnétique dans l’espace

- chacun de ces champs induit à son tour un courant dans tous les segments (comme dans tout élément conducteur qu’il rencontre), courant induit qui provoque à son tour un champ électromagnétique

Les équations auxquelles on aboutit, entre courants et champ résultant, ne sont pas simples du tout puisqu’elles sont issues des fameuses équations de Maxwell. Mais l’ordinateur permet de les résoudre numériquement en ramenant leur formulation à un système d’équations linéaires à plusieurs inconnues.

 

« Euréka » dit l’OM ravi de ne plus monter à l’échelle avec sa pince coupante, « mais pourquoi diable ma Lévy 2x20 mètres à 5 mètres du sol et fixée au toit de ma maison ne donne-t-elle pas du tout les mêmes résultats que la simulation appliquée à elle ? »

 

La raison de cette divergente est donnée par les mots en italique écrits quelques lignes plus haut (comme dans tout élément conducteur qu’il rencontre). L’antenne étant près du sol et de la maison, tout conducteur qui s’y trouve est le siège de courants induits qui rayonnent à leur tour. Or, ce ne sont pas les éléments conducteurs qui y manquent : fils électriques, fils téléphoniques, tuyaux métalliques, armatures des murs et des dalles, coaxiaux radio et TV, supports d’antennes, antennes TV, sol lui-même. Tout se passe donc comme si ce que l’OM appelle « son antenne » n’était en fait qu’une partie de l’antenne réelle qui, elle comprend en fait tout ce qu’on vient de citer. En faisant une analogie avec une Yagi, on pourrait dire que « son antenne » n’est que « l’élément de la Yagi raccordé au coaxial » et que tout le reste joue le rôle des « éléments parasites de la Yagi ».

 

Le logiciel de simulation, comme le plus bel OM ou la plus belle YL, ne peut donner que ce qu’il a, et si on ne lui a pas décrit ces autres éléments parasites, il n’a aucune chance de donner de bons résultats. Or la description géométrique et électrique des ces éléments est soit très difficile (pensons à ce que cela donne pour les armatures du béton armé de la maison…), soit carrément impossible, dans le cas du sol par exemple[4].

 

Mais attention, et c'est là que le bât blesse, _tout objet à proximité de ce qu'on vient de décrire comme étant l'antenne doit être en toute rigueur décrit également géométriquement et électriquement_ (ligne, support, mât, antenne de télé, et surtout le sol). La raison de cette exigence est simple : _tous ces objets sont situés dans le champ de l'antenne, des courants y seront donc induits qui eux-mêmes génèreront des rayonnements qui se combineront avec ceux de ce qu'on appelle "antenne"._

On sent bien que le passage sous silence de l'environnement de l'antenne introduit une erreur d'autant plus grande que cet environnement est plus proche de l'antenne. Et nous nous souvenons tous depuis l'école primaire que si le prix d'achat des pommes et leur prix de vente sont inexacts, on n'a aucune chance de calculer le bénéfice exact de l'épicier...

Nous avons trop souvent le réflexe de considérer que du moment qu'on a un logiciel pour calculer quelque chose, ce qui en ressort est forcément vrai. Encore faut-il qu'on y rentre la vérité, rien que la vérité, toute la vérité. Et la vérité ici c'est que ce qu'on appelle antenne n'est souvent qu'une partie de la vraie antenne.



[1] L’ordinateur a non seulement investi le shack mais il s’est même attaqué à l’émetteur-récepteur lui-même…

[2] écrit par W7EL

[3] écrit par JE3HHT

[4] car on n’est pas en présence d’éléments unidimensionnels, et la méthode des moments ne peut s’appliquer ; on peut toutefois contourner la difficulté avec des méthodes issues de l’optique géométrique (rayons réfléchis, réfractés, diffractés).