Association de Défense des Selfs Torturées
(A.D.S.T.)
La Présidente
Le 22 mars 2004
Messieurs,
D’abord, je souhaite me
présenter. Mon nom est p2r2, je suis une self et je
préside l’A.D.S.T. (l’Association de Défense des Selfs Torturées).
De passage à Paris pour un festival de musique[1],
j’ai écouté votre QSO technique de dimanche matin, et tiens à vous dire toute
l’horreur que les propos qui y ont été tenus m’inspire.
En effet, sous prétexte
d’expérimentations scientifiques, vous vous livrez, en paroles au moins, à des
actes barbares sur nos consœurs les selfs. L’un d’entre vous, Robert je crois,
a expliqué complaisamment comment il prendrait une pauvre petite self et
l’étirerait progressivement, rien que pour voir ce qui se passerait !
Si le but de telles
exactions est bien de comprendre ce qu’il adviendrait, je vais vous
l’expliquer, ce qui vous évitera peut-être de passer à l’acte… Mais je vais le
faire dans ma langue à moi, c’est-à-dire sans faire appel aux mots creux comme
« champ », « induction », « tension »,
« intensité », « impédance », « onde »,
réactif », etc. que vous, humains, n’utilisez que pour mieux cacher votre
ignorance de ce qui se passe dans notre univers à nous les selfs.
Il en va de nous, selfs,
comme des dinosaures, il en est de toutes tailles et de toutes formes, mais la
physiologie en est toujours la même. Nous sommes faites d’un conducteur
métallique filiforme. Comme dans tout métal on y trouve de gros atomes avec
chacun son nuage d’électrons, de beaucoup d’électrons. Tellement d’électrons
que certains d’entre eux, les plus éloignés des noyaux, en profitent pour
s’agiter à la moindre alerte ; en particulier, quand on branche une self
aux bornes d’une pile, ces électrons se précipitent tous dans le même sens. De
même, quand on branche une self aux bornes d’une dynamo, ils se mettent à aller
tous ensemble tantôt dans un sens tantôt dans l’autre. On dirait qu’ils dansent
une ronde.
Cette ronde des électrons
paraît un jeu bien innocent, n’est-ce pas ? Pourtant détrompez vous, il n’en
est rien car les électrons eux-mêmes sont loin d’être innocents ! Ils ont
en effet dans leurs chromosomes un gène bien particulier qui les rend
« particulièrement toxiques pour leur environnement ». Vous, humains,
appelez ce gène « charge électrique ». En quoi consiste cette
toxicité ? C’est simple : dès qu’un électron bouge, il est impossible
que cela passe inaperçu, car ce mouvement de l’électron sème tout autour de lui
la perturbation. Mais où est donc la perturbation, direz-vous, puisque si vous
branchez une self sur une pile ou sur une dynamo, vous ne la voyez pas changer de couleur, ou crier ou fumer ?
La perturbation due au
mouvement des électrons, vous pouvez l’observer à l’aide de deux
instruments : une boussole et un chat. Prenez la boussole d’abord. Quand
vous branchez la self vous voyez son aiguille changer de direction. Vous,
humains, qualifiez cette perturbation de « perturbation magnétique ».
Prenez le chat ensuite. Caressez le un bon moment. Approchez le de la self.
Branchez la self et vous verrez alors les poils de votre chat se dresser. Vous,
humains, qualifiez cette perturbation de « perturbation électrique ».
J’ai compris en écoutant
votre QSO de dimanche matin que vous étiez tous des « accros » de
l’expérimentation. C’est pourquoi je vous recommande de vous procurer beaucoup
de chats et beaucoup de boussoles. Vous en mettez un peu partout, près de la
self, loin de la self, le long de son axe, dans son plan, etc. Puis vous
refaites l’expérience de brancher et débrancher la self. Que constatez-vous
alors ?
Vous constatez trois
faits :
Premier fait : toutes les boussoles
et tous les chats sont perturbés où qu’ils se trouvent (près de la self, loin,
etc.).
Second fait : toutes les boussoles et
tous les chats ne sont pas perturbés avec la même violence ; ils le sont
d’autant plus qu’ils sont plus proches de la self ; à distance donnée, ils
le sont d’autant plus qu’ils sont plus proches de l’axe de la self ; les
perturbations dépendent donc de la position du chat ou de la boussole dans l’espace.
Troisième fait : toutes les boussoles et
tous les chats ne sont pas perturbés en même temps ; d’abord ce sont
celles et ceux tout près de la selfs, puis ceux et celles qui sont juste un peu
plus loin, puis encore plus loin et ainsi de suite. Le phénomène se propage
comme le fait la perturbation due au jet d’un pavé dans la mare : de plus
en plus loin, à la même vitesse constante dans toutes les directions, mais de
moins en moins violemment au fur et à mesure qu’on s’éloigne ; les
perturbations dépendent donc du temps et ne se propagent pas instantanément.
Mais cette expérience ne
vous suffisant pas, vous la recommencez en mettant cette fois tout ça dans
l’eau (sans oublier de munir les chats de scaphandres) ou même dans d’autres
milieux. Vous constatez alors que les perturbations ont toujours lieu de la
même façon (les trois faits ci-dessus sont observés) sauf que leurs amplitude
dépend du milieu. Vous en déduisez que chaque milieu « permet »
plus ou moins les perturbations.
La « permission de perturber
les boussoles » que présente un milieu donné, vous humains l’appelez m (c’est-à-dire m en grec, m
comme magnétique) et vous la qualifiez de « perméabilité
magnétique ».
La « permission de
perturber les chats » que présente un milieu donné, vous humains l’appelez
e
(c’est-à-dire e en grec, e comme électrique) et vous la qualifiez de
« permittivité électrique »[2]
(ou « diélectrique » pour faire encore plus savant, quand le mot
électrique vous paraît trop vulgaire).
Vous voyez que ces
phénomènes électromagnétiques ne sont pas si compliqués que ça et qu’il n’est
nul besoin, si dans un premier temps on veut seulement les comprendre,
de faire appel à des monstruosités mathématiques comme celles que ce grand
tortionnaire de selfs que fut James-Clerk Maxwell a cru bon de proférer il y a
cent trente ans.
Et je vous le répète, cela se
passe de la même façon avec toutes les selfs, qu’il s’agisse de modestes selfs
de quelques minuscules spires dans l’étage d’entrée d’un récepteur VHF , ou de
ces élégantes bobines avec leurs indéfrisables nids d’abeille des postes PO-GO
de vos grands-mères, ou même de ces arrogantes delta-loops et autres cubical
quads 80 mètres, prédatrices qui font régner la terreur sur le 3 Méga 5 dès la
nuit tombée.
Mais je lis dans vos
pensées. Vous êtes en train de vous dire que tout ceci est absurde car il n’y a
rien de commun entre une self en nid d’abeille et une quad 80 mètres !
Bien sûr, toutes n’ont pas la même vocation (un QSO avec une self en nid
d’abeille pour antenne serait aussi peu pratique qu’un récepteur avec un bloc
d’accord fait de quads 80 mètres) mais il n’empêche que fondamentalement il se
passe la même chose dedans et autour : quand dedans on agite des
électrons, dehors les boussoles et les chats sont perturbés.
Alors, que constaterait
Robert si, par malheur et comme je ne le souhaite vraiment pas, il se mettait à
étirer une self ?
Pour répondre à cette
question, supposons que Robert, du fait de ses qualités exceptionnelles de
cycliste, installe son vélo sur un « trainer »[3],
relie la dynamo à la malheureuse self (une toute petite avec ses spires bien
jointives) qu’il va supplicier, et mette des chats et des boussoles un peu
partout afin de constater ce qui se passe. Robert sachant pédaler très vite, il
pourra ainsi faire débiter par sa dynamo dans la self toute la HF nécessaire à
l’expérience.
Robert se met à pédaler. Que
constate-t-il ? Un phénomène qui se passe en trois temps.
Premier temps : les chats et les
boussoles les plus proches sont perturbés et, de proche en proche, le phénomène
se propage comme on l’a vu plus haut. Pendant ce premier temps, Robert doit
fournir un effort inhabituel (plus grand que quand la self n’est pas raccordée
à la dynamo), comme s’il grimpait une côte.
Deuxième temps : tous les chats et
toutes les boussoles s’agitent de façon régulière. Robert n’a presque plus d’effort
à faire, comme s’il avait atteint un plateau.
Troisième temps : Robert décide de ne
plus pédaler ; surprise : il s’est trompé de vélo et en a pris un qui
ne peut faire de roue libre, et le voilà comme entraîné à pédaler de force par
la descente d’une pente avec un tel vélo, les chats et les boussoles s’agitent
encore mais de moins en moins, puis Robert peut enfin s’arrêter de pédaler, il
est arrivé en bas de la descente, chats et boussoles se reposent.
Malgré la concentration
qu’exige sa qualité de cycliste sportif de haut niveau, Robert a néanmoins
observé un phénomène curieux pendant toute l’expérience : alors que les
boussoles et les chats placés à l’intérieur de la self (i.e. dans le tunnel
formé par les spires jointives) étaient très agités, ceux situés à l’extérieur
ne l’étaient pratiquement pas. C’est comme si les perturbations avaient été
confinées à l’intérieur de la self et que l’effort fourni par Robert avait
servi à y accumuler quelque chose, et qu’il lui avait ensuite suffi de pédaler
sans effort pour l’y maintenir, mais que ce quelque chose lui ait été restitué
ensuite quand il avait décidé de ne plus pédaler.
A ce stade, l’horreur
commence car Robert entreprend d’étirer un peu la self et de recommencer à
pédaler. Il va procéder en plusieurs étapes, ce qui est normal pour un
cycliste. A chaque nouvelle étape correspondra un étirement supplémentaire de
la self. Que va-t-il constater ?
A chaque étape, il
constatera encore trois temps successifs comme quand la self était à spires
jointives, mais ces trois temps changeront progressivement. Voyons comment.
Le premier temps sera toujours un temps
d’effort, de côte à grimper, de perturbation progressive des chats et des
boussoles jusqu’à atteindre une sorte de palier. Mais au fur et à mesure qu’il
espacera les spires, Robert constatera que l’agitation des chats et des
boussoles extérieurs à la self va croître alors que celle des chats et des
boussoles à l’intérieur va décroître. C’est comme si ce quelque chose, que son
effort stockait initialement à l’intérieur de la self, l’était aussi de plus en
plus à l’extérieur aussi.
Le second temps, le palier sur lequel
Robert pouvait garder le rythme sans effort quand les spires étaient jointives,
va ressembler de plus en plus lui-même à une pente qu’il lui faut gravir,
d’abord peu inclinée, puis de plus en plus raide.
Le troisième temps, la descente où c’est la
roue qui entraîne le pédalier, va rester tel quel, sauf que Robert aura
l’impression qu’il récupère de moins en moins de ce quelque chose que son effort
a servi à stocker quelque part[4],
dans la self et en dehors d’elle.
Vous comprenez qu’en étirant
la self, Robert l’a progressivement métamorphosée en antenne d’émission. A
spires jointives, la self était un composant destiné plutôt à produire des effets
très locaux, effets liés à la géométrie de la self, géométrie qui conditionne
la façon dont les boussoles et les chats confinés dedans sont perturbés par
l’agitation des électrons. Réduite à une seule grande spire, quand elle a été
complètement étirée, elle est devenue un composant destiné plutôt à produire
des effets lointains, effets liés à la géométrie de la self, géométrie qui
conditionne la façon dont les boussoles et les chats extérieurs à la self
peuvent être facilement perturbés de proche en proche.
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En espérant que mes
explications éviteront que la liste des pauvres selfs maltraitées ne s’allonge,
je vous prie de croire, Messieurs, en l’assurance de mes sentiments les
meilleurs.
p2r2, Présidente de l’A.D.S.T.
[1] Commentaire F6FQX :
il doit s’agir du festival de musique selfique qui s ‘est déroulé ce
week-end au stade de France et dont le moment le plus fort a été l’arrivée du
bagad de Lann Bihoué.
[2] Commentaire
F6FQX : à ce stade, la Présidente p2r2 nous en dit trop ou trop peu ; il faudrait qu’elle nous explique
que la perturbation apportée aux boussoles comme celle apportée aux chats sont
ce que nous appelons des inductions (elles sont en effet «induites » par
le milieu) et sont plus précisément le vecteur B (induction magnétique) dans
le cas des boussoles et le vecteur D (induction électrique) dans le cas des chats. Comme
ces perturbations B
et D dépendent du milieu, il est
commode de les rapporter à des « perturbations de référence» correspondant
à ce qu’elles seraient dans un « milieu de référence». Ce sont « ces
perturbations de référence » qu’on appelle « champ magnétique H » et « champ
magnétique E », et qui finalement ne
sont que de pratiques intermédiaires de calcul sans réelle signification
expérimentale, évalués, dans des « milieux honnêtes » par les
relations bien connues B=m.H
et D=e.E ; mais le parti pris de
la Présidente p2r2 à ne vouloir parler que sa
langue, et donc à se priver des facilités qu’offre le langage mathématique,
explique vraisemblablement son imprécision.
A propos de langage, elle aurait pu aussi nous
faire remarquer qu’en allemand, langue précise s’il en est, on désigne B et D par, respectivement
« die magnetische Flussdichte » et « die elektrische Flussdichte »,
ce qui littéralement signifie « la densité de flux magnétique » et
« la densité de flux électrique » alors que H et E sont, comme en français
« das magnetisches Feld » et « das elektrisches
Feld » ;nos collègues germanistes ont ainsi le mérite d’être
explicites : on passe par de H à B et de E à D en densifiant les lignes de force d’un champ, et
donc son flux, par introduction d’un milieu dont la structure moléculaire et
atomique s’y prête.
[3] la Présidente p2r2 entend vraisemblablement par là un de ces systèmes à rouleaux qui permettent à un cycliste de s’entraîner en chambre sur son vélo habituel.
[4] Commentaire de F6FQX :
l’imprécision des termes employés par la Présidente p2r2 atteint ici des sommets (dignes du Tourmalet) ou alors elle nous prend pour des nuls en
physique ! Pourquoi ne pas dire tout bêtement que ce que fournit Robert
par son effort physique c’est de l’énergie mécanique, que ce travail est
converti en d’autres formes d’énergie par des transducteurs successifs, que
cette énergie est pour partie stockée dans l’espace (avec une répartition entre
l’intérieur et l’extérieur de la self qui dépend de la compacité de la self) et
pour partie rayonnée au loin, que la partie stockée est ensuite restituée par
l’espace quand Robert arrête de pédaler.
La Présidente p2r2 aurait même peut-être pu aller plus loin en parlant d’énergie active
pour la partie rayonnée et d’énergie réactive pour la partie stockée, en disant
que l’énergie réactive l’est surtout à proximité de la self, en parlant
d’impédance pour caractériser la résistance à l’effort que Robert ressent dans
ses pédales, de partie réactive ou active de cette impédance suivant que cette
résistance correspond à de l’énergie qui sera récupérée dans le troisième temps
ou non.