Prévoir la propagation, mais c’est très simple…

Par Jean-Pierre Bourdier, F6FQX

Etant encore questionné, quinze ans plus tard, à propos de mes articles sur la propagation parus par Radio-REF , je repense à ces dizaines d’heures passées alors à écrire des programmes en Basic et à calculer les tribulations d’une onde entre Paris et Singapour  (cf. schéma 1). Les temps ont bien changé et aujourd’hui, grâce à Internet, aux micro-ordinateurs et à l’impressionnant travail fait par plusieurs radio-amateurs, on peut presque transposer ce qu’E. Aisberg, notre maître à tous, disait de la radio et écrire « prévoir la propagation, mais c’est très simple ».

La prévision de  la propagation  peut s’approcher de deux façons :

- La première s’adresse aux OMs pressés, qui s’intéressent à des outils de prévision conviviaux et rapides, préférant consacrer leur temps au trafic plutôt qu’a réfléchir sur les phénomènes en cause,

- La seconde s’adresse aux OMs curieux, qui aiment aussi le trafic, mais veulent aller plus loin dans la compréhension des mécanismes qui déterminent le propagation..

I – Pour les OMs pressés

Il leur suffit d’aller sur deux sites Internet :
- celui de DK0WCY ( http://www.dk0wcy.de/magneto/magnet.htm )
- celui de W6EL ( http://www.qsl.net/w6elprop/ )

Le premier donne, rafraîchies toutes les 5 minutes, des informations sur :
- l’activité solaire (indicateur R, flux, activité)
- le champ magnétique terrestre ou champ géomagnétique ( indicateurs K et A)
- la présence possible d’une aurore boréale.
A défaut de pouvoir aller sur Internet, on peut écouter DK0WCY sur 10144 kHz (données en continu en CW)  ou WWV sur 10000 kHz  (données à l’heure plus 18 minutes en mode AM).

Le second site offre gratuitement le logiciel de prévision de propagation écrit par W6EL, qui est une merveille du genre. A défaut de pouvoir aller sur Internet, on peut le copier chez les OMs qui l’ont téléchargé : il tient sur une disquette, car il occupe moins de 1,1Moctets.

Pour illustrer ce qu’il est possible de faire a partir de ces deux sites, voici un exemple vécu de leur utilisation. Kurt, DL2DZL, de Dresde en Allemagne, souhaite connaître les meilleures heures et les meilleures fréquences pour être entendu en décamétrique fin février 2002 d’un OM à Copán au Honduras (Copán est un haut lieu de la civilisation Maya ; on y trouve encore des temples, ainsi que des autels où l’on sacrifiait au Dieu Soleil, il y a mille ans, les vainqueurs de concours. Ces concours consistaient à relancer jusqu'à épuisement une balle reprise par d’autres. Heureusement que de nos jours, nos meilleurs « contest-men », ceux qui envoient leurs photons jusqu'à épuisement, ne sont pas ensuite offerts au Soleil pour qu’il ionise davantage l’ionosphère la prochaine fois…). L’OM du Honduras dispose d’une antenne gp filaire 10/17/20 mètres suspendue à une branche. DL2DZL a 100 Watts et une antenne intérieure.

Du site de DK0WCY, les deux OMs  extraient les deux paramètres qui les intéressent :
- l’index solaire R = 176
- l’activité géomagnétique K = 2
Ils introduisent ces deux paramètres dans le programme W6ELProp, ainsi que les données relatives à la liaison :
- latitudes et longitudes de Dresde (53.0 N ; 13,8 E) et de Copán (14,4 N ; 86,5 W)
- bruit environnant correspondant à une zone résidentielle
- bande passante de 500 Hz (CW)
- angle d’incidence de l’antenne de réception : 5 degrés.

L’ordinateur met moins d’une seconde pour rendre son verdict :
- il fournit tout d’abord (cf. schéma 2), outre les distances orthodromiques (petit arc et grand arc) entre stations, les données utiles (azimuts et heures) au cas où on disposerait d’antennes directives et on souhaiterait trafiquer le long du terminateur (ligne grise de l’aube ou du crépuscule)  ; ceux qui, comme moi, ont connu l’époque où ces calculs de trigonométrie se faisaient à la règle Graphoplex apprécieront…

- il fournit ensuite une carte circulaire et une carte azimutale indiquant le trajet suivi par l’onde et les parties de la Terre dans la nuit et dans le jour (cf. schéma 3),

- il fournit ensuite divers tableaux donnant la fréquence maximale utilisable (MUF), le niveau de signal, le niveau du rapport signal/bruit, la probabilité d’établir la liaison. Tout ceci est également sous forme de graphes, plus faciles à interpréter globalement que des tableaux. On y voit par exemple que la MUF est supérieure à 30MHz de 13 à 19 h TU, et dépasse 40 MHz vers 16 h TU, ce qui est favorable (cf. schéma 4).

En ce qui concerne  le rapport signal/bruit, on constate ( cf. schéma 5) que :

- la bande 10 m est très favorable de 14 h à 19 h UTC ( probabilité > 75% ; S/B > 15 dB),
- la bande 17 m est favorable de 12 h à 21 h UTC (probabilité > 75%), mais avec un niveau S/B plus faible que pour le 10 m, surtout entre 16 et 19 h UTC (la liaison se fait alors en 4 sauts au lieu de 3, comme on le voit dans les tableaux détaillés),
- la bande 20 m est favorable, quant a elle, de 22 h  a 9 h UTC ( probabilité > 75% ; S/B > 15 dB).

Enfin, les cartes, examinées aux différentes heures, permettent de retrouver les phénomènes connus (bande 20 m plutôt nocturne, bande 10 m plutôt diurne, bande 17 m intermédiaire, etc.).

Ce qui est magique dans tout ça, c’est que DL2DZL et son correspondant du Honduras ont effectivement pu vérifier que les choses se passaient dans l’ensemble de cette façon. Que les OMs responsables de DK0WCY et W6ELProp en soient chaleureusement remerciés !

II – Pour les OMs curieux

Les phénomènes de propagation illustrent à quel point , dans l’univers, l’infiniment petit (particules avec les champs et les ondes qui leurs sont associés) rejoint l’infiniment grand (système solaire).

1 - les particules, les champs, les ondes

- les particules

Le modèle standard de la physique contemporaine décrit l’univers comme un ensemble de particules élémentaires qu’on regroupe en 3 familles :

- les bosons, qui sont les particules qui transmettent les 4 forces de la nature : force de la gravité dont le boson –baptisé par avance graviton- reste à découvrir, force électromagnétique dont le boson est le photon, interaction faible dont les bosons portent des noms peu évocateurs –W+, W-, Z0- , interaction forte dont les bosons s’appellent gluons ),

- les leptons, qui représentent les « poids plume » de la matière (électron, muon, neutrinos, tau),

- les hadrons, qui représentent les « poids lourds » de la matière (des centaines, eux-mêmes regroupés en familles qu’on appelle quarks, et qui sont en particulier les briques constitutives des protons et des neutrons).

Les OMs font appel aux 3 familles de particules élémentaires :

- chez les bosons, c’est le photon qu’ils utilisent parce qu’il est «l’objet volant identifié » le plus rapide en l’état actuel des connaissances : il traverse l’Atlantique en 1/50ème de seconde, va de la Terre a la Lune en une seconde, du Soleil a la Terre en 8 minutes, de l’amas G1 d’Andromède à la Terre en 12 millions d’années (mais c’est vraiment très loin…). Les OMs raffolent des photons et se les échangent en permanence puisque ce sont eux qui coulent dans les coaxiaux, jaillissent des antennes émettrices, se précipitent dans les antennes réceptrices.

- chez les leptons, c’est l’électron qu’ils utilisent pour son agilité due a une très faible masse et pour la facilité avec la quelle sa charge électrique peut être attirée ou repoussée. C’est lui qu’ils font courir dans leurs fils ( et chacun sait que la TSF utilise beaucoup de fils…).

- chez les hadrons, c’est la forme agglutinée en ions (dont le plus simple est le proton) qu’ils utilisent. Piles et batteries sont bourrées d’ions. L’ionosphère elle-même, sans laquelle le DX n’existerait pas, ne fonctionne qu’en raison de la quantité importante d’ions qu’elle contient.

- les champs électromagnétiques

Les champs décrivent les actions auxquelles sont soumises les particules. Le champ magnétique (cf. la boussole) et le champ électrique (cf. la foudre), même si on ne les appelait pas ainsi, sont connus depuis l’antiquité. Mais il a fallu attendre le 19 ème siècle pour que James Clark Maxwell (à la suite des travaux d’Ampère, Volta, Oersted, Gauss et de tous les autres savants de l’aventure électrique) invente ses fameuses équations  : grâce à elles, on sait expliquer comment sont reliées entre elles, dans l’espace et dans le temps, les 6 grandeurs électromagnétiques fondamentales (champs et inductions –électrique et magnétique-, charge électrique, courant électrique). Les champs font bouger les particules qui, à leur tour en bougeant créent des champs, et ainsi de suite. Or l’ionosphère est un lieu plein de particules en mouvement soumises en outre aux deux super-champs que sont celui du Soleil et celui de la Terre.

- les ondes

Les ondes, enfin, sont les vagues  qui portent au loin le champ électromagnétique. Les ondes, comme les vagues, peuvent se réfléchir, se réfracter, se diffracter, s’atténuer, devenir stationnaires (cf. le clapot dans un port). La propagation ionosphérique utilise la réfraction et la réflexion des ondes dans l’ionosphère, le trafic via aurore boréale utilise en outre la diffraction (qui donne le bruit caractéristique de ce trafic).

2 – la centrale nucléaire « Soleil » et la Terre, «bleue comme une orange  »

Le Soleil, comme toutes les étoiles de sa catégorie, produit une énergie dense à partir de la transformation des noyaux atomiques qui le composent. C’est en quelque sorte une énorme centrale nucléaire qui non seulement nous apporte la lumière (qui a donné leur nom aux photons), mais qui contrôle en permanence le trafic des ondes radio a grande distance sur la Terre.

Dans cette « fonction d’aiguilleur  du ciel », le Soleil utilise 3 canaux simultanément :

- le premier canal est celui du rayonnement continu de rayons peu pénétrants (les ultra-violets, ou UV,  que les amateurs de bronzage connaissent bien) et très pénétrants (les X, qui sont bien utiles en radiologie médicale). Il s’agit de photons de longueur d’onde allant de 100 picomètres à 100 nanomètres. Ces rayonnements bombardent la Terre (plus exactement sa face diurne) en continu. Ce sont eux qui sont responsables de l’ionisation de l’ionosphère : les UV se chargent de la couche F (la plus haute), les X mous de la couche E (couche intermédiaire), les X durs de la couche D (la plus basse). Cette ionisation varie  avec l’heure du jour et de la nuit, avec la saison, avec des processus propre à chaque couche , et avec des effets de transitoires lors du passage du terminateur . Ce rayonnement continu fluctue par ailleurs avec une période moyenne de 11 ans, qui a la particularité intéressante d’être corrélée avec le nombre de taches observables . C’est ainsi qu’on parle des cycles solaires ; on les numérote de 1 a 23, depuis les toutes premières observations qui remontent a deux siècles et demi. Nous sommes actuellement dans la phase descendante du cycle solaire 23, qui a atteint son maximum en 2000.(cf. schéma 6).

Pour caractériser l’intensité du rayonnement, on utilise deux indicateurs, assez bien corrélés entre eux et avec l’ionisation de l’ionosphère : le flux solaire et le « sun spot » (appelé aussi SSN, ou nombre de Wolf, ou R). Plus ces indicateurs sont élevés, plus l’ionisation est intense, plus haute est la fréquence maximale utilisable pour des liaisons DX (toutes choses égales par ailleurs, bien sur).

- le second canal, par lequel le soleil contrôle le trafic, est celui du vent solaire. Ce vent est en fait une tempête qui souffle, lorsqu’elle est calme, à 400km/s (plus de 1 million de km/h !). Il ne s’agit pas de photons mais de matière solaire (notamment) éjectée en permanence par le soleil, et qui met plusieurs jours pour nous parvenir . Ce vent comprime le champ magnétique terrestre sur la face éclairée de notre planète en l’écrasant littéralement et, en contrepartie, effiloche ce champ sur l’autre face (cf. schéma 7) sous forme d’une « queue magnétique ». C’est pourquoi le vent solaire affecte l’ensemble de la surface éclairée de la terre, mais très peu la partie non éclairée, qui est a l’abri du vent, sauf au voisinage des pôles.

- le troisième canal de contrôle est celui des « éjections et éruptions solaires » : il arrive que se produisent des éjections explosives de matière de la couronne solaire (cf. schéma 8) qui propulsent brutalement une quantité énorme de matière solaire vers l’espace : le vent solaire subit alors une brutale accélération qui, sous forme d’onde de choc, gagne la terre. Si ce phénomène a lieu quand le champ magnétique du soleil est « tête-bêche »  par rapport à celui de la terre, l’onde de choc se couple alors au champ terrestre et provoque une brutale variation de ce dernier. Cette brutale variation peut provoquer des aurores polaires . Elle peut aussi arracher des électrons de l’ionosphère en les emportant dans la « queue magnétique », modifiant ainsi l’ionisation de l’ionosphère et, par suite, sa faculté a réfléchir les ondes.

Chez les radioamateurs, on regroupe la description de ces phénomènes géomagnétiques a travers deux indicateurs :
- un indicateur du « champ magnétique terrestre du jour », designe par K
- un indicateur du « champ magnétique terrestre instantané  », designe par A

L’indicateur A, lineaire, varie de 0 (calme) à 400 (forte tempête). L’indicateur K, semi-logarithmique, varie de 0 (calme) à 9 (forte tempête). On considère généralement que les meilleures conditions pour la propagation sont celles qui correspondent à A inférieur à 16, et à K inférieur à 4.

L’activité solaire peut être à la fois la meilleure et le pire des choses en matière de propagation. La meilleure quand, comme indique ci-dessus, un nombre élevé de taches provoque une forte ionisation de la couche F et, par suite, une MUF élevée. La pire des choses quand une éruption violente rend la couche D si absorbante qu’aucune liaison diurne n’est possible, ou quand un flot de particules très énergétiques « s’engouffrent dans les pôles en suivant les lignes du champ magnétique terrestre, bloquant toute liaison radio empruntant les zones polaires.

Mais, plus généralement, les OMs avertis trouvent toujours quelque chose de bon dans ces phénomènes :
- les périodes de haute activité des cycles solaires sont plutôt bonnes pour utiliser les fréquences hautes et faire des DX avec de faibles puissances, en choisissant bien les bons créneaux horaires qu’indique W6ELProp, et en évitant les jours ou l’activité géomagnétique est trop violente,
- les périodes de basse activité des cycles solaires sont plutôt bonnes pour utiliser les fréquences basses et réaliser des DX sur 160 ou 80 mètres, en évitant là encore les périodes de trop forte activité géomagnétique,
- les périodes de forte activité géomagnétique sont elles-mêmes intéressantes pour nos amis du VHF, chasseurs d’aurores boréales. Les bulletins d’alerte de DK0WYC sont alors très utiles.

Bibliographie :

A – The Sun, the Earth, The Ionosphere : What the Numbers Mean, and Propagation Predictions - - a brief introduction to propagation and the major factors affecting it, by Carl Luetzelschwab, K9LA,
( http://www.arrl.org/k9la-prop.html )

B - Articles de F6FQX publies dans Radio-REF,
( http://perso.respublica.fr/f6fqx/ ) et en rapport avec le sujet :
B - 1 - Le cycle solaire nouveau est arrive ( juillet-août, septembre, octobre 1987)
B - 2 - Propagation : suivez la ligne grise  (novembre 1988)
B - 3 - Liaisons à grande distance sans beam ni kW (décembre 1988)
B - 4 - Marie, Chang et les photons (novembre 1989)
B - 5 - Cécile au pays des électrons et des gluons (mars 1990)
B - 6 - Les 4 formules magiques du professeur Maxwell (mars 1991)
B - 7 - DK0WCY, des prévisions de propagation bientôt sur packet  (avril 1999)