Hannah aimait la télévision, mais elle avait un voisin radio-amateur ...

par Jean-Pierre Bourdier, REF 35913
 
 
 
 

(Note préliminaire : l’histoire qui suit est pure fiction et toute ressemblance avec une situation réelle ne peut être que simple coïncidence)

Il était une fois une aimable dame qui s’appelait Hannah. Sa passion était de regarder la télé, de rêver en contemplant des reportages évoquant des pays lointains aux paysages enchanteurs, de se laisser bercer par les musiques envoûtantes qui les illustraient, de s’imaginer sous les cocotiers au bord du lagon.

Un jour ses rêves devinrent cauchemars. Les îles tropicales furent soudain prises dans une tempête de neige, les oasis sahariens furent zébrés de pluies diagonales violentes, les guitares hawaïennes se mirent à souffler comme de vieilles locomotives dignes du Mécano de la Générale. Des parasites ! Sa télé était envahie de parasites !

Elle appela la chaîne émettrice qui lui assura qu’elle n’y était pour rien. Elle fit venir son dépanneur qui trouva la télé en bonne santé (une télé toute neuve et qui d’ailleurs marchait bien lors de sa venue). C’est alors que levant les yeux au ciel de désespoir, Hannah vit au-dessus de la maison de son voisin, récemment emménagé, un objet insolite fait de fils et de ferraille, comme un grand râteau. Horreur ! La malchance avait fait qu’un radioamateur avait élu domicile près de chez elle et brouillait sa télé. Elle consulta les PTT qui le lui confirmèrent : l’intrus était autorisé sous le vocable, ô combien barbare, de F6FQX. D’un pas résolu, Hannah alla sonner à son huis.
 
 

Le premier contact fut un désastre et confirma à Hannah que son voisin (F6FQX, quel nom, je vous le demande !) était bien un barbare :

- Hannah : " monsieur, vous brouillez ma télévision, ça ne peut pas durer ! "

- F6FQX : " madame, j’ai ma licence, mon matériel est homologué, je suis donc en règle ; comme toujours, c’est votre télévision qui est une passoire ! "

- Hannah : " une passoire, ma télévision ? Comme toujours, dites-vous ? Ainsi, vous n’en êtes pas au premier méfait. Comme toujours, vous faites des parasites dans la télé ! "

- F6FQX : " vous n’y comprenez rien. Je veux dire que vous avez un ampli large bande en tête de votre mât d’antenne, je l’ai vu, alors que le signal UHF est nettement au-dessus du seuil de bruit. En outre mon émetteur, homologué, n’a ni " spurious " ni harmoniques à plus de 40 décibels en-dessous de la fondamentale. CQFD. Vous avez donc tort ! "

- Hannah : " inutile de me parler latin pour camoufler votre faute. Moi aussi, j’ai fait des études, notamment de logique. Avant vous je n’avais pas de parasites, depuis vous j’en ai plein. Le lien de cause à effet est évident. Tout F6FQX que vous êtes, vous avez donc tort ! " Furieuse, Hannah tourna les talons. F6FQX claqua la porte.

L’histoire, à ce stade, aurait pu prendre une vilaine tournure : invectives, lettres anonymes, procès, associations de défense, bonnes âmes prêtes à exciter les passions, actes de vandalisme, et tout ça d’un côté comme de l’autre. Mais heureusement, là-haut dans le ciel quelque part entre les couches F1 et F2 chères aux chasseurs de stations lointaines, il y a (chut, c’est un secret !) un dieu qui veille sur les radioamateurs et une déesse qui fait la même chose pour celles qui aiment la télévision non brouillée. Ces deux divinités, habituellement peu enclines à s’entendre, convinrent dans le cas présent de faire une exception et d’arranger les choses.

F6FQX, à la réflexion peu fier de son manque de courtoisie, alla trouver le Président de son club, F5GZJ, un sage apprécié de tous pour son sourire, sa gentillesse, sa patience, sa compréhension et sa capacité à venir à bout de problèmes humains inextricables. F5GZJ fit alors la leçon à F6FQX : "  des parasites dans une télé, ce n’est ni la première ni (hélas) la dernière fois que ça arrive ; vous n’avez rien à gagner à vous fâcher avec votre voisine ; mettez-vous à sa place : elle a bien le droit de regarder sa télévision sans que quelqu’un la brouille ; et d’ailleurs, une interférence est un problème de technique radio : un vrai radioamateur doit savoir traiter un tel problème ; je vais vous aider, allons ensemble voir votre voisine. "

De son côté, Hannah s’était ressaisie : " je suis stupide ! Peut-être qu’après tout, même si je n’y comprends rien, elle est vraie cette histoire de mât à large bande fondamentale, de 40 amplis harmoniques et de décibels spurious homologués ? Je me rappelle ce film extraordinaire de Christian-Jaque (vu à la télévision, naturellement) de marins bretons atteints d’une maladie mystérieuse sur leur chalutier à deux jours des côtes norvégiennes et sauvés grâce aux radioamateurs ; ... si tous les gars du monde décidaient d’être copains..., avec une devise comme ça, même s’ils parlent latin, les radioamateurs ne peuvent pas être tout à fait des barbares".

Hannah en était à se demander si Paul Fort, "la cigale du Nord " comme l’appelait Mistral, n’avait pas écrit un poème commençant par ...si tous les gars du monde voulaient s’donner la main..., quand on sonna à sa porte. Elle ouvrit ; deux messieurs étaient là ; le premier, qu’elle ne connaissait pas, souriait gentiment ; le second, en qui elle reconnut F6FQX, baissait la tête et regardait ses souliers. Hannah comprit sans qu’un mot eût à être échangé, les fit entrer, leur offrit le café. Ils parlèrent longtemps, d’abord se présentant puis parlant de la pluie et du beau temps (comme dans un vrai " QSO "). Naturellement, calmement, ils en vinrent à parler de la télé d’Hannah et de ses parasites. Ils en parlèrent avec compréhension, compassion, et sympathie, comme on parle d’un malade qu’on souhaite voir rétabli.

Ils convinrent que la pathologie méritait une approche clinique, méthodique, patiente, pas à pas, en gardant l’espoir (mais sans certitude) de la guérison. Ils savaient qu’il leur faudrait agir dans la confiance et la transparence, car cela pourrait prendre du temps. Puis F5GZJ et F6FQX se mirent au travail, en tenant Hannah à chaque étape au courant de leurs succès et de leurs échecs :

- d’abord, ils se documentèrent, lisant force littérature sur le TVI (Hannah écarquillant les yeux, ils lui dirent qu’en latin, comme elle disait, cela signifiait " interférences avec la télévision") ; ils échangèrent sur le sujet avec d’autres Oms qui avaient " déjà vu ça " ; ils écrivirent à "Allô, docteur", une rubrique parmi d’autres de Radio-Ref ; de tout ce travail préliminaire, ils tirèrent un programme d’actions écrit sous forme d’organigramme (" je fais l’action A ; si elle provoque l’effet E j’en déduis la conséquence C, sinon j’en déduis le résultat R, etc. "),

- ils agirent ensuite toujours à deux, par exemple l’un au manipulateur et au microphone à la station (en forte comme en faible puissance), l’autre devant la télé chez Hannah( qui lui offrait le café), chacun un talkie-walkie 144 à la main (pardon Hannah, il faut traduire " chacun un émetteur-récepteur portatif à la main "), notant tout ce qu’ils faisaient, ce qui en résultait,

- F6FQX porta son émetteur chez un fournisseur-réparateur du côté de la gare de Lyon, qui se fit un plaisir de le lui passer gracieusement à l’analyseur de spectre (tout homologué qu’il fut, l’émetteur n’était pas aussi propre que cela : cela ne suffisait pas à expliquer tout le brouillage, mais était néanmoins encourageant et Hannah apprécia le mea culpa, même partiel, de son voisin (" ces radioamateurs ont vraiment des qualités ", pensa-t-elle),

- F5GJZ et F6FQX passèrent ensuite au crible toute la station, permutant les rôles afin de limiter la consommation de café de chacun chez Hannah ; émission sur charge fictive (F6FQX dut en refaire une, celle de ses débuts étant égarée ; F5GZJ ne dit pas à Hannah que tout amateur doit en avoir une en permanence) branchée directement en sortie d’émetteur, puis en bout de ligne ; ils essayèrent une autre antenne et une autre ligne, prêtées par d’autres Oms, admiratifs devant tant de méthode,

- F6FQX installa un filtre secteur (mais où était donc passé celui qu’il avait fièrement exhibé à l’inspecteur le jour de sa licence ? Son président, une fois de plus, pêcha par omission, mais en faisant la leçon au fautif : toute station raccordée au secteur doit être munie d’un filtre),

- pendant qu’ils étaient dans les filtres, les deux Oms en profitèrent pour s’interroger sur la nécessité de mettre un filtre passe-bas en série avec la ligne ; bien que l’émetteur ait été révisé, ils en essayèrent quelques-uns, car de tels filtres étaient vraiment très faciles à construire ; toujours à propos de la ligne, ils barrèrent la route à toute propagation importante en mode commun par enroulement du coaxial sur lui-même (ou sur ferrite lors des essais avec du petit coaxial) ; d’une façon générale, - ils ne furent pas avares de ferrites sur tous les câbles entrant ou sortant de l’émetteur (alimentation, manipulateur, microphone, autres accessoires, etc.) afin d’empêcher la haute fréquence de les emprunter (cf. schéma 3),

- les deux Oms s’intéressèrent ensuite à la mise à la terre de la station ; en tant que professionnel de l’électricité, F6FQX avait tenu à ce que l’installation du " 220 Volts " chez lui soit conforme à la norme C 1500 ; en conséquence, toutes ses prises avaient une broche reliée à la terre (il l’avait vérifié à l’Ohm-mètre, ce qui lui avait d’ailleurs permis de remettre dans le droit chemin quelques prises traîtresses ...) ; les capots de l’émetteur et de l’alimentation, le " moins 12 Volts ", la gaine de son coaxial étant tous reliés à cette broche de terre de la prise, il était convaincu d’avoir une bonne mise à la terre ; or, il se trompait : la station étant au second niveau de la maison, la distance de l’émetteur au sol était grande (en termes de fraction de longueur d’onde), surtout en suivant le câblage électrique de la maison ; un Om du club prêta alors un détecteur de courant H.F. (F6FQX se demanda s’il n’allait pas être pris en défaut pour la troisième fois mais, heureusement pour lui, bien que très utile, ce petit instrument n’est pas obligatoire dans une station) ; le détecteur, déplacé le long du fil de terre, trahit la présence de ventres et de noeuds de courants très révélateurs : d’après ce qu’il avait lu dans les livres, cela signifiait que sa mise à la terre constituait en fait une antenne supplémentaire, qui rayonnait comme une vraie, mais pas là où on aurait voulu !

- F6FQX avait lu que plusieurs possibilités existaient pour venir à bout de ce rayonnement indésirable : modifier la longueur de la mise à la terre, installer une " terre artificielle " (sous forme de quart d’onde relié à l’émetteur), voire ne pas chercher à relier l’émetteur à la terre du tout (mais sans sacrifier la " mise à la terre de l’installation électrique ", indispensable à la sécurité des personnes).

- Hannah ne voulut pas être en reste et pria son voisin de procéder, sur sa télé, à toutes les modifications qu’il estimerait nécessaire ; F6FQX, tenté de montrer son savoir, accepta mais F5GZJ s’y opposa fermement. Son expérience lui avait appris que le risque que prend un radioamateur en intervenant sur la télé de voisins est beaucoup trop grand. Aussi, fit-il ce qu’il convient de faire dans un tel cas : il expliqua à Hannah (en évitant de parler latin ...) qu’elle avait tout intérêt à faire appel à un professionnel, tant pour son amplificateur de bande (dont l’utilité se révéla effectivement contestable) que pour sa télévision elle-même (qui, sans mériter le sobriquet de passoire, manquait beaucoup de sélectivité). Hannah suivit ce conseil et s’en trouva bien. Néanmoins, elle insista pour que les deux radio-amateurs lui installent ces " petites choses magiques " sur câbles et fils, dont ils lui avaient dit le plus grand bien, et qui ne nécessitaient aucun " acte chirurgical " sur la télé elle-même : ils munirent donc l’installation d’Hannah d’un filtre secteur, d’un filtre passe-bande et de deux selfs de choc mode commun (l’une sur le cordon secteur, l’autre sur le coaxial).

- F5GZJ n’eut pas à vérifier (heureusement pour lui, car c’est vraisemblablement ce qu’il y a de plus délicat comme vérification à faire en cas d’interférence) qu’il n’existait au voisinage de l’installation d’Hannah, ni oscillateur susceptible de perturber la télévision par battement avec l’émetteur de F6FQX, ni perturbateur générateur de parasites électriques ou de phénomènes de rectification.

Cette démarche systématique porta ses fruits : Hannah comme F6FQX avaient à la fois tort et raison, la cause des parasites étant multiple. L’important était qu’elle fût identifiée, et que le remède y fût porté. La télévision d’Hannah retrouva ses images enchanteresses sur fond de musique céleste. F6FQX se remit au manipulateur et au microphone avec la sérénité de ceux qui vivent en harmonie avec leur environnement et leurs voisins.

Cette harmonie atteint la perfection quand Hannah et F6FQX se marièrent. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants, tous radioamateurs, et passionnés par la télévision amateur.

Bibliographie :

- PARASITES ET PERTURBATIONS DES ELECTRONIQUES (tomes 1 à 4), boutique du REF-UNION.

- ARRL TVI HANDBOOK, édition 1998.

- ALLO DOCTEUR, le radio-club de Saint-Quentin-en-Yvelines à votre écoute, questions n° 12 et 17, RADIO-REF.