par F6FQX, Jean-Pierre Bourdier
Il était
une fois une belle au bois dormant, qui attendait dans son château
qu'un prince charmant vînt prononcer la formule magique qui la ferait
renaître à la vie… Qui d'entre nous n'a pas rêvé,
enfant, en lisant ces belles histoires? Qui n'a pas été fasciné
par le pouvoir de ces formules merveilleuses dont le simple énoncé
suffisait à bouleverser le cours des choses?
Les formules
(pour faire plus sérieux, on dit aujourd'hui« les équations
») de Maxwell terrorisent beaucoup d'étudiants par leur abstraction.
Cer- tains vont même jusqu'à penser que leur auteur aurait
été inspiré par le diable puisque dans tous1es manuels
de physique on évoque« le démon de Maxwell »…
En fait, ces
formules, sous des dehors ésotériques, cachent des réàlités
fondamentales et, somme toute, assez simples. Le but de cet article est
d'essayer d'expliquer ces réalités à travers le cheminement
de pensée de leur inventeur. En annexe, sous le titre «notes
du rédacteur», sont rappelées les dites équations
et leurs conséquences; la lecture de cette deuxième partie
n'est pas indispensable à la compréhension des phénomènes.
Mais qui pourrait mieux parler des équations de Maxwell que Maxwell
lui- même?
Quelle curieuse idée
j'ai eue de me mettre à ranger ce grenier aujourd'hui, pensait Charles
en se démenant au milieu des cartons et de la poussière;
et d'ailleurs, pourquoi avait-il cédé à Mary, son
épouse, qui avait tenu à acheter œtte vieille maison de Cambridge,
sous prétexte que le grand-père de son grand -père,
un certain James Clerk Maxwell, y était mort un soir de novembre
18791
Charles, en tant que
radioamateur, avait bien entendu parler de ce Maxwell I:nais, d'après
ce qu'on lui en avait dit, cet homme avait dû être un de ces
savants traitant de sujets si abstraits que cela n'intéresse per-
sonne, incapables qu'ils sont de s'exprimer comme tout le monde. Charles
était précisément en train de se dire que si certains
traits du caractère de Mary étaient extravagants, elle les
devait peut- être à cet ancêtre, quand une feuille manuscrite
jaunie par le temps tomba du cadre d'un vieux miroir qu'il venait de pousser
contre le mur. Charles la ramassa et sa gorge se noua. C'était une
lettre ~ignée James Clerk Maxwell, datée du 2 novembre 1879.
Il s'assit et la lut.
« Cambridge, le 2 novembre
1879,
Cher lecteur inconnu,
Etant parvenu au soir de ma vie,
je ne ressens aucune tristesse, car je pense avoir été utile
à la science en ces quarante huit ans de ma vie, cependant, il reste
une chose qui me tracasse, car je crains qu'un point important de mon oeuvre
reste incompris ou mal expliqué.
Il concerne la prédiction
de ce que j'ai appelé « les ondes électromagnétiques
de longueur d'onde beaucoup plus grande que celle de la lumière
». Je sais qu'à ce jour personne n'a encore réussi
à les observer ou à les produire, mais j'y crois. Ces ondes
pourraient se propager sans support matériel, sans cet éther
après lequel, depuis Newton, tous les physiciens courent. Or, je
crains que le formalisme mathématique de mes successeurs ne facilite
pas la compréhension des formules que j'ai établies, et retarde
la découverte de ces ondes mystérieuses.
C'est pourquoi, je tiens, dans
les quelques lignes qui suivent, à résumer comment je suis
arrivé à mes équations et ce qu'elles signifient.
Tout d'abord, je dois remercier
Coulomb qui, vers la fin du XVIII" siècle, découvrit la loi
régissant la force entre deux charges électriques. Quel spectacle
que celui d'un éclair entre le ciel et la terre, quand la disproportion
entre les charges en l'air et les charges au sol devient telle que s'opère
un brusque transfert pour rétablir l'équilibre!
C'est donc Coulomb qui décrivit
comment une charge crée autour d'elle un champ électrique,
qui fait que toute autre charge s'y trouve attirée ou repoussée.
Il ne restait plus à Gauss qu'à établir mathématiquement
de façon précise cette loi que Coulomb avait déduite
de l'expérience.
De cette notion de champ électrique,
se déduisit alors celle de courant électrique dans un fil:
il s'agit ni plus ni moins que de charges électriques mobiles dans
ce fil, et, si ces charges sont mobiles, c'est qu'elles sont soumises à
un champ électrique. Si ce champ est constant, on obtient un courant
continu, s'il varie de façon alternative, on obtient un courant
alternatif.
Vers 1820, Oersted découvrit
que les courants continus engendraient des champs magnétiques. Ces
champs magnétiques n'étaient pas nouveaux pour la science,
mais on pensait jusque là que seuls de~ aimants pouvaient les produire.
La grande découverte d'Oersted
fut qu'une charge électrique ne produisait un champ magnétique
que si elle était en mou- vement, alors qu'elle produit un champ
électrique, qu'elle bouge ou non.
Ampère, par la suite,
se livra à toute une série d'expériences, qui me permirent
d'établir ma première formule: cette équation détermine
avec précision le champ magnétique produit par un courant
continu. A vrai dire, j'avais travaillé par analogie avec ce
qu'avait fait Gauss, et j'étais
parvenu à un résultat très symétrique du sien
(figure 1) :
Loi de Gauss = champ électrique
dû à une charge électrique (1)
Loi de Maxwell = champ magnétique
dû à un courant électrique (2)
On pouvait ainsi passer d'un
champ électrique à un champ magnétique, puisqu'un
champ électrique mettait des charges électriques en mouvement
(courant), ce courant produisant à son tour un champ magnétique.
Les physiciens, et moi en particulier,.
nous demandâmes alors si la réciproque était possible:
pouvait-on produire un champ électrique Ii partir d'un champ magnétique
?
On pensa tout d'abord que non
car, ne connaissant que les courants continus et les champs magnétiques
fixes, on essayait précisément de produire un courant continu
Ii partir d'un champ magnétique fixe : mettez un aimant immobile
près d'un fil, vous verrez qu'il ne se passera rien. Après
bien des expériences, ce fut finalement Faraday qui trouva la solution
en ayant l'idée de déplacer fil et aimant l'un par rapport
Ii l'autre: il n'y a production d'un champ électrique (et donc d'un
courant dans le fil) que si le champ magnétique varie. C'est le
principe de l'induction de Faraday (figure 2).
A ce stade, il restait à
modéliser ce principe d'un point de vue mathématique, ce
que je fis en écrivant une équation liant la variation
dans l'espace du champ électrique à la variation dans le
temps du champ magnétique (3).
Cette nouvelle équation
introduisait un concept tout à fait nouveau: celui du lien inextricable
qui lie champ magnétique et champ électrique dès que
l'un des deux bouge ou varie dans le temps. Champ électrique et
champ magnétique ne sont donc que deux aspects d'une grandeur plus
complexe, le cha,mp électromagnétique, et ce n'est que quand
l'un et l'autre sont immobiles et invariables qu'on peut les distinguer.
Je disposais alors des trois équations
précitées:
Champ électrique = fonction
de la charge électrique (1)
Champ magnétique = fonction
du courant (2)
Champ électrique = fonction
de la variation dans le temps du champ magnétique (3)
Hélas, je n'étais pas au bout de mes peines car je me rendis assez vite compte que ces trois formules donnaient parfois des résultats contradictoires.
En
effet, calculant le champ électrique à partir de (1), le
champ magnétique à partir de (2), je trouvais des résultats
ne respectant pas (3). Quel casse-tête / Je ne pouvais tout de même
pas accepter des lois non conformes aux expériences. Réexaminant
les conditions de validité de ces formules, je me rappelai alors
que l'équation (2) avait été établie à
partir des expériences d'Oersted et d'Ampère, et qu'il n'était
question alors que de courants continus. En complétant cette équation
par un terme introduisant la variation avec le temps du champ électrique,
tout devenait cohérent : ce terme supplémentaire disparaissant
en cas de courant continu, l'équation (2) n'était donc qu'un
cas particulier d'une équation plus générale :
Champ magnétique = fonction
du courant et de la variation dans le temps du champ électrique
(4)
L'ensemble de ces formules permettait
alors de décrire de façon précise les phéno-
mènes électromagnétiques, et la lumière en
particulier, en abandonnant définitivement le concept d'éther,
ce solide invisible qui était supposé emplir tout l'espace
et osciller avec la lumière comme la mer oscille avec les vagues.
Mais, mes équations, quand
on les applique au vide et qu'on les triture comme les mathématiciens
savent si bien le faire, semblent dire qu'il existerait des ondes électromagnétiques
de longueurs d'onde bien supérieures à celles de la lumière,
qui ne dé- passent guère 1/500" de millimètre (figure
3). Mon vœu le p lus cher est qu'on recherche ces ondes, car si ce que
je pressens est vrai, elles permettraient, une fois modulées, de
véhiculer à grande distance des informations avec beaucoup
moins de temps et d'énergie que les moyens actuels de communication.
Par delà l'aspect rébarbatif
des équations auxquelles la postérité donnera peut-être
mon nom, je souhaite que mes travaux de 'bouchent un jour sur ces ondes
qui uniront peut-être les hommes. Car si tous les hommes du monde
voulaient se donner la
main...
signé: James Clerk Maxwell
»
Charles replia les feuillets et eut une pensée pour leur auteur qui ignorait, en les écrivant, que huit ans plus tard Heinrich Hertz créerait ces ondes de grande longueur, et qu'elles seraient appelées à un avenir bien au-delà des espérances de Maxwell.
-------------------------------------------------------------------------------------------
NOTES DU RÉDACTEUR DE L' ARTICLE
Ces notes renvoient aux références (1) à (4) du texte ci-dessus; elles commentent, sous forme mathématique contemporaine, ce qu'affirme Maxwell dans sa lettre; leur lecture n'est pas nécessaire à la compréhension générale des phénomènes en cause.
Note (1) : Dans
les formulations modernes, cette loi est souvent appelée «
première équation de Maxwell » et écrite sous
l'une ou l'autre des deux expressions suivantes:
dans lesquelles:
D est le « vecteur
induction électrique »
dS est un élément
de surface,
r est la densité
de charge électrique
Q est la charge totale
électrique.
Elles sont la traduction
en langage mathématique des propriétés suivantes:
. des charges électriques
immobiles créent autour d'elles un champ électrique,
. les lignes de champ
partent ou arrivent sur les charges électriques,
. des charges de même
signe se repoussent,
. des charges de signe
opposé s'attirent,
. dans un conducteur
isolé, les charges se situent à la surface.
On complète
cette « première équation de Maxwell » par la
« deuxième équation de Maxwell », qui est à
l'induction magnétique ce qu'est la première pour l'induction
électrique et qui s'écrit sous l'une ou l'autre des deux
formulations suivantes:
dans lesquelles:
dS est un élément
de surface,
B est le « vecteur
induction magnétique ».
Elles sont la traduction
en langage mathématique du fait qu'il n'existe ni charge magnétique
monopolaire, ni courant magnétique.
Note (2) : Dans
les formulations modernes, cette loi serait écrite sous l'une ou
l'autre des deux expressions suivantes
dans lesquelles :
H est le vecteur
champ magnétique
dl est un élément
de ligne,
I est l'intensité
du courant électrique,
j est la densité
de courant électrique.
Elles sont la traduction
en langage mathématique du fait qu'un courant électrique
continu produit un champ magnétique autour de lui, les lignes de
champ encerclant le courant.
Elles ne présentent
pas d'intérêt autre qu'historique puisqu'elles ne sont qu'un
cas particulier de la quatrième équation de Maxwell, qui
est évoquée en (4) ci-après.
Note (3) : Dans
les formulations modernes, cette loi est souvent appelée «
troisième équation de Maxwell » et écrite sous
l'une ou l'autre des deux expressions suivantes:
dans lesquelles:
E est le « vecteur
champ électrique »,
B est le «vecteur
induction magnétique
dl un élément
de ligne,
dS est un élément
de surface,
Elles sont la traduction
en langage mathématique des propriétés suivantes:
. un champ magnétique
variable avec le temps engendre un champ électrique autour de lui,
. un conducteur placé
dans un champ magnétique qui varie avec le temps est le siège
d'un courant électrique.
Note (4) : Dans
les formulations modernes, cette loi est souvent appelée «
quatrième équation de Maxwell » et écrite sous
l'une ou l'autre des deux expressions suivantes :
dans lesquelles:
H est le « vecteur
champ magnétiquE
dl est un élément
de ligne,
I est l'intensité
du courant électrique,
j est la densité
de courant électrique,
dS est un élément
de surface,
D est le « vecteur
induction électrique ».
Elles sont la traduction
en langage mathématique des propriétés suivantes:
. un courant électrique,
continu ou non ou un champ magnétique variable avec le temps engendrent
un champ électrique autour d'eux,
. la combinaison des
3ème et 4ème équations de Maxwell montre qu'un champ
électromagnétique se propage dans un matériau forme
d'ondes dont la vitesse ne dépendant que de constantes physiques
de œ matériau et est égale à la vitesse de la lumière
dans ce matériau,
. la combinaison des
1ère et 2ème équation de Maxwell permet d'écrire
l'équation de continuité de l'électrodynamique, qui
s’écrit, avec les notations précitées :
et qui signifie, en
langage mathématique que la variation du courant dans l’espace résulte
de la variation des charges électriques dans le temps.
BIBLIOGRAPHIE
- Deutscher Taschenbuch
Verlag, Atlas zur Physik, Elektrizität und Magnetismus, Hans Breuer,
München, September 1988.
- Champ électrique
et champ magnétique, l’Astronomie, Editions du Port Royal, Fred
Hoyle, Paris 1963.